Une chambre d’écho est-elle à l’origine du naufrage de Blockbuster?
Selon une légende dans le monde des affaires américain, lorsque les fondateurs de Netflix se sont rendus à Dallas, au Texas, en 2000 pour présenter une proposition aux propriétaires de Blockbuster Video, le PDG John Antioco aurait failli éclater de rire.
Dans son ouvrage de 2019 That Will Never Work: The Birth of Netflix and the Amazing Life of an Idea, Marc Randolph, cofondateur de Netflix, écrit que lui et son partenaire Reed Hastings ont proposé à Antioco de racheter la jeune plateforme de vidéo en continu pour 50 millions de dollars. Si Antioco a semblé intéressé, Randolph a remarqué que la mention d’un montant réel en dollars a entraîné un changement d’attitude de sa part.
« J’ai vu quelque chose de nouveau, quelque chose que je n’ai pas reconnu, son expression sérieuse légèrement perturbée par une esquisse de sourire au coin de la bouche, écrit Randolph. C’était minuscule, involontaire et très momentané. Mais dès que je l’ai vue, j’ai compris ce qui se passait : John Antioco se retenait de rire. »
Finalement, c’est Netflix qui a souri. En effet, après avoir raté l’occasion parfaite de moderniser son plan d’affaires, la chaîne de magasins de location de vidéos et de DVD, autrefois omniprésente, a commencé à s’étioler jusqu’à la fermeture en 2019 de la totalité de ses 9 000 magasins, à l’exception d’un seul. Entretemps, Netflix était devenu le chef de file mondial de la diffusion en continu au chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars.
Chaque fois que je pense à ce moment désormais tristement célèbre, je ne peux m’empêcher de me poser des questions : les dirigeants de Blockbuster vivaient-ils dans une chambre d’écho? N’y avait-il personne à cette réunion qui pouvait se lever et dire : « Attendez, peut-être qu’on devrait considérer cette proposition »?
Ce serait formidable si, au moment où vous devenez PDG, vous manifestiez également une capacité innée à lire correctement toutes les situations et à prévoir l’avenir avec précision. Mais même les meilleurs chefs d’entreprise savent que l’intuition ne suffit pas. Vous devez vous entourer de personnes compétentes et vouloir écouter leurs idées.
À défaut de le faire, vous risquez de vous retrouver dans la chambre d’écho.
La chambre d’écho en affaires
Le terme « chambre d’écho » est utilisé dans de nombreux contextes différents. Ainsi, il peut se rapporter à l’ingénierie audio, en particulier à un dispositif utilisé pour créer une rétroaction dans l’enregistrement, ou aux médias sociaux, pour désigner un groupe de personnes aux idées communes au sein d’une communauté en ligne qui favorise la désinformation en excluant les opinions contraires. Ce dernier exemple est très proche de la chambre d’écho dans le contexte des affaires, où elle désigne des dirigeants qui s’entourent de personnes qui sont toujours d’accord et ne remettent jamais en question les idées ou les opinions.
Beaucoup trop de cadres supérieurs sont enfermés dans des chambres d’écho, et ce, pour une bonne raison : il est réconfortant d’être entouré de personnes qui refusent de vous remettre en question. L’absence de conflit ou de désaccord peut souvent être interprétée à tort comme la preuve que les dirigeants ont raison.
Malheureusement, il existe une foule d’exemples montrant que le consensus injustifié endémique d’une chambre d’écho est une voie qui mène au désastre, voire à la destruction.
Dans son ouvrage Thinking, Fast and Slow, l’auteur et économiste Daniel Kahneman décrit comment la confiance en soi débridée d’un chef d’entreprise se traduit souvent par une propension à exclure les opinions contraires.
Kahneman a passé sa vie à étudier la psychologie du jugement et de la prise de décisions et est arrivé à la conclusion que nous sommes tous très susceptibles d’interpréter à tort ce que dicte notre instinct comme étant la vérité. À tel point que nous excluons les opinions divergentes ou la possibilité que nous n’en sachions pas autant que nous le pensons.
« Notre conviction réconfortante que le monde a un sens repose sur une base solide : notre capacité presque illimitée à ignorer notre ignorance », écrit Kahneman.
Un antidote à la chambre d’écho
Cela peut sembler trop simpliste, mais les dirigeants qui veulent lutter contre la chambre d’écho doivent manifester de l’ouverture et demander des opinions divergentes.
Cette démarche peut être difficile à accepter si elle est confondue avec un manque de confiance en soi. Les leaders sont souvent devenus ce qu’ils sont en faisant preuve d’un jugement sûr, de la confiance nécessaire pour prendre les décisions difficiles et de l’intégrité qu’il faut pour s’y tenir.
Cependant, pour exceller en leadership, nous devons faire la distinction entre le manque de confiance en soi ‒ l’incapacité à prendre des décisions ou à prendre les bonnes décisions ‒ et la volonté de prendre en compte les opinions divergentes.
La création d’une culture qui prône de solliciter l’avis honnête des autres n’indique pas un manque de confiance. C’est en fait la marque d’un dirigeant sûr de lui, une pratique exemplaire utilisée par de nombreux dirigeants parmi les plus reconnus du monde pour se prémunir contre une prise de décisions à courte vue.
Si nous admettons que même les meilleurs chefs d’entreprise ne savent pas tout, l’antidote à la chambre d’écho est tout à fait clair : nous devons faire de la culture des opinions divergentes et de la prise en compte des résultats autres que ceux que nous souhaitons une partie intégrante de notre processus décisionnel.
La première étape pour démanteler la chambre d’écho est d’admettre que l’on s’y trouve
Les dirigeants qui ne peuvent pas admettre qu’ils se trouvent dans une chambre d’écho pourront difficilement s’en évader. Mais comment quelqu’un qui est à l’aise avec un consensus non justifié peut-il reconnaître le problème et s’en libérer? Un petit autodiagnostic honnête sera nécessaire.
Les questions suivantes, si vous y répondez franchement, vous aideront à déterminer dans quelle mesure vous évoluez dans une chambre d’écho.
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Une fois que j’ai donné mon avis, les membres de mon équipe se sentent-ils à l’aise d’exprimer des points de vue contradictoires? Si oui, à quelle fréquence interviennent-ils?
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Si quelqu’un propose un point de vue contradictoire, comment est-ce que moi-même et les autres réagissons? Certains dirigeants demandent des points de vue différents, mais ils le font seulement pour apaiser les membres de l’équipe. D’autres, aidés par leurs plus ardents fidèles, encouragent les opinions divergentes uniquement pour créer une occasion de rejeter, de dénigrer ou d’attaquer les personnes qui n’adhèrent pas automatiquement au point de vue initial.
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Pouvez-vous reconnaître les préjugés inhérents qui pourraient vous inciter à filtrer les opinions contraires? Nous avons tous des préjugés qui influencent nos décisions. Les grands dirigeants n’ignorent pas leurs préjugés. Admettez-les, soyez honnête avec vos équipes et examinez vos décisions finales afin d’avoir la certitude que vous n’adoptez pas une position partiale simplement par défaut.
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Pouvez-vous exprimer votre désaccord avec votre équipe sans la priver de ses droits et sans qu’elle ait l’impression de ne pas prendre part à la prise de décisions? Les personnes qui proposent des solutions de rechange qui sont rejetées se sentent blessées. C’est à vous de maintenir leur engagement et de leur montrer que même si elles n’ont pas réussi à vous convaincre cette fois-ci, elles auront d’autres occasions de le faire à l’avenir.
Si vous croyez que vous évoluez dans une chambre d’écho, prenez le temps de remettre en question la culture actuelle de votre organisation en matière de prise de décisions. Pensez-y : vous avez peut-être exclu par inadvertance des opinions et des idées divergentes, mais néanmoins constructives.
Vous et votre organisation vous en porterez mieux.