Une culture de résilience

03 juil. 2018

Une culture de résilience

Pour survivre et réussir dans le domaine de la haute direction, vous devez faire preuve de résilience pour être capable de relever une multitude de défis au quotidien.

Qui travaillera le plus tard? Qui continuera malgré la maladie? Qui s’accrochera même sous l’emprise du stress chronique? Pour de nombreux cadres, la salle de conférence est une véritable jungle où seuls les plus forts survivent. Ceux qui réussissent doivent comprendre comment rester en bonne santé mentale et physique pour mieux rester au sommet.

La grande question de savoir comment les cadres peuvent fonctionner sous une pression extrême a été abordée l’an dernier au Royaume-Uni lorsque António Horta-Osório, chef de la direction de l’entreprise Lloyds Banking Group, a révélé que l’anxiété et l’insomnie « ont failli avoir raison de lui », alors qu’il dirigeait la transition de l’entreprise d’un modèle partiellement détenu par le gouvernement à une société privée. Il raconte que quelques mois avant de commencer son mandat en 2011, il a consulté un professionnel de la santé pour éviter une dépression.

« Je me prenais pour Superman », a-t-il confié au quotidien The Times. J’avais l’impression de pouvoir tout faire. Avant cela, je croyais que moins je dormais et plus je travaillais, mieux c’était. J’ai alors compris que je n’étais pas Superman. »

Aujourd’hui, M. Horta-Osório entend inscrire 200 de ses cadres à un programme que son psychiatre et lui-même ont mis au point, qui comprendra une prise de conscience, des tests psychologiques et une analyse nutritionnelle. Ce programme s’inscrit dans un contexte où on prend de plus en plus conscience dans les organisations que de se prendre pour Superman n’est pas la meilleure option pour un individu ou une entreprise, et que les dirigeants doivent être mieux outillés pour surmonter les défis. En résumé, ils doivent savoir faire preuve de résilience.

Dévoiler les problèmes au grand jour

M. Horta-Osório n’est pas seul dans sa situation. Même si les autres dirigeants de haut niveau qui ont dévoilé publiquement leurs problèmes de santé mentale sont plutôt rares, on recense un certain nombre de cas dignes de mention. Le milliardaire australien James Packer, directeur de la société d’exploitation de casinos Crown Resorts et fils de l’ex-magnat des médias Kerry Packer, a démissionné de son poste en mars de cette année pour des raisons personnelles soi-disant liées à la dépression et à l’anxiété, des problèmes dont il a reconnu avoir souffert au cours des vingt dernières années.

En 2017, Ton Büchner a quitté ses fonctions de PDG du fabricant néerlandais AkzoNobel, qui détient la marque Dulux, pour des raisons de santé liées au stress.

« La résilience, c’est la capacité de faire aussi bien un sprint qu’un marathon », explique Elizabeth Stewart, chef de l’évaluation et du perfectionnement des cadres d’Odgers Berndtson à Londres. Pour Jacqueline Carter, partenaire et directrice, Amérique du Nord de la société Potential Project, un chef de file mondial qui propose des programmes d’efficacité organisationnelle fondés sur la pleine conscience, « une définition simple [de la résilience] est la capacité à surmonter rapidement les difficultés » et il s’agit « d’une faculté mentale qui peut être développée en pratiquant la pleine conscience. »

Prendre soin de la santé mentale, un devoir

Pour Rob Stephenson, dont l’entreprise à vocation sociale Inside Out vise à transformer la culture d’entreprise en encourageant les cadres à parler de leur bien-être mental, « la résilience réside dans la capacité à réagir à l’adversité ou aux situations difficiles, et repose grandement sur la souplesse… Je crois qu’on perçoit à tort que la résilience signifie force ou résistance. »

À titre d’expert fiscal et financier pour la Ville de Londres, M. Stephenson a cofondé Inside Out après avoir été confronté au trouble bipolaire dans un environnement professionnel. « Je crois que les entreprises se rendent compte qu’elles ont le devoir d’aider leurs cadres à gérer leur bien-être mental, peu importe où le problème s’est manifesté », estime-t-il.

« Les entreprises commencent à comprendre qu’elles ne doivent pas se contenter d’appuyer leurs employés uniquement lorsqu’ils sont confrontés au stress professionnel. »

Un autre aspect de la vie d’entreprise qui doit changer est la culture de « présentéisme », lorsque les employés se présentent au travail même s’ils ne se sentent pas bien, sur le plan mental ou physique. Un rapport Deloitte publié en octobre 2017 intitulé Mental Health and Employers: the Case for Investment (Santé mentale et employeurs : analyse de l’investissement) cite cet aspect comme étant celui qui engendre le plus de coûts pour l’économie britannique – soit de 17 à 26 milliards de livres comparativement à des coûts d’absentéisme d’environ 8 milliards de livres – et mentionne qu’y remédier serait avantageux à la fois pour les entreprises et pour les individus. Ce rapport souligne également que les entreprises qui se préoccupent de la santé mentale de leurs employés, que ce soit par l’intermédiaire de séances de thérapie individuelles ou d’ateliers de groupe axés sur la résilience, ont observé un rendement de l’investissement moyen de 4,2 pour 1.

« C’est vraiment là que les entreprises peuvent avoir une influence », indique M. Stephenson. C’est un des rares cas où analyser la santé mentale est la bonne chose à faire et où analyser la rentabilité de cet aspect est bon à la fois pour le rendement et pour le bien-être des employés. »

Rester en bonne forme

Dans cette optique, le cadre a la responsabilité personnelle de cultiver sa résilience en se maintenant dans une forme optimale pour le travail. Mais comment y arriver? Avant toute chose, M. Stephenson recommande d’accorder la priorité à une bonne nuit de sommeil, car cela accroît notre capacité à prendre des décisions et à gérer le stress. Le manque de sommeil a un effet négatif sur cette aptitude. M. Stephenson conseille de se discipliner à se coucher à une heure raisonnable et d’éviter les écrans et les médias sociaux tard en soirée afin d’aider le corps à lâcher prise naturellement.

En Australie, Andrew May de la clinique de rendement de la société KPMG dirige des efforts en vue de créer une culture de résilience à l’échelle de l’entreprise. Il désigne deux autres facteurs : la forme physique et la forme psychologique.

« La première étape de la résilience consiste à faire bouger votre corps, explique M. May. Faites 10 000 pas aujourd’hui. Pas pour vous mettre en forme, mais plutôt pour stimuler les mitochondries – de petites centrales énergétiques présentes dans les cellules. Cela réveille le corps et aide l’organisme à fonctionner adéquatement. » En outre, assurez-vous de faire au moins trois ou quatre heures d’activité physique par semaine pour accroître votre VO2 maximal, soit le taux de consommation d’oxygène maximal de votre corps, car « cela peut également augmenter votre capacité à passer du stress à la récupération. Bouger donne de l’énergie, et l’activité physique aide à réguler les émotions. »

Une bonne alimentation est aussi essentielle : assurez-vous de modérer votre consommation de sucre, de prendre des repas réguliers, sans oublier de consommer des protéines « qui apportent la dopamine nécessaire pour alimenter le corps », et de manger beaucoup de fruits et de légumes, conseille-t-il.

Ensuite, il y a la forme psychologique. Au lieu de vous montrer inflexible et de maintenir un « état d’esprit rigide », essayez de vous exercer à la souplesse de pensée. « En ce qui a trait aux capacités de réflexion, elles relèvent à 50 pour cent de la génétique, à 40 pour cent de la formation et à 10 pour cent du style de vie », estime M. May.

S’exercer à réfléchir avec plus de souplesse aide les cadres à s’adapter au changement et, par conséquent, à devenir plus résilients dans les moments difficiles.

Mise en œuvre du concept dans les entreprises

Jane Gunn, sa collègue de KPMG Australie, partenaire de la division des services-conseils en gestion de Canberra, souligne que les entreprises qui s’attaquent à cet enjeu, « des sociétés minières à nos organisations du secteur public, commencent à voir l’importance de la résilience chez les cadres comme chez les employés ». Elle suggère donc d’encourager un « état d’esprit axé sur la croissance », où les cadres « s’exercent à aborder chaque situation non pas comme une façon d’accroître leur rendement, mais plutôt comme une occasion d’apprendre – et qu’avoir toutes les réponses est non seulement impossible, mais aussi pas très utile pour la génération de nouvelles idées. »

« Tout aussi important pour accroître la résilience est le développement de ce que nous appelons la “capacité” à diriger », ajoute Mme Gunn, « c’est-à-dire vous accorder le temps de récupération nécessaire pour renouveler et recentrer votre énergie. »

La science démontre que de vivre continuellement dans un état de stress réduit notre capacité à exercer la pensée créative ou latérale, et donc à prendre des décisions efficaces.

Un manque d’énergie peut également mener à une mauvaise autorégulation des émotions et à une intensification des réactions.

« Nous savons tous ce qu’est le sentiment d’épuisement et à quel point il nous amène à avoir “la mèche courte”. Notre capacité à faire preuve de résilience et à changer de cap lorsque quelque chose ne fonctionne inévitablement pas comme nous l’avions prévu repose sur le fait d’avoir l’énergie nécessaire pour réfléchir et apprendre après un échec plutôt que de réagir et de se blâmer ou de blâmer les autres. »

Malgré tout, Jacqueline Carter de Potential Project estime que beaucoup de progrès reste à accomplir à l’échelle des entreprises.

« Selon notre expérience, un trop grand nombre d’organisations ne s’attaquent pas aux causes fondamentales du manque de résilience : des esprits encombrés, surmenés, surchargés. Même s’il existe de nombreux programmes efficaces pour accroître la résilience, un trop grand nombre d’entre eux fournissent l’information et les conseils sur ce qui doit être fait, mais négligent d’aborder la façon dont cela doit être fait, ce qui de notre point de vue exige d’exercer notre esprit à changer sa manière de traiter les difficultés que nous vivons. »

Elle ajoute que l’Organisation mondiale de la santé a qualifié le stress de « maladie épidémique du 21e siècle », et on estime que celui-ci coûte chaque année jusqu’à 300 milliards de dollars aux entreprises américaines.

Sa collègue de Londres, Louise Chester, ajoute : « Nous en observons des preuves tangibles dans le cadre de notre travail avec de nombreuses grandes entreprises qui prennent cet enjeu très au sérieux et qui investissent beaucoup d’attention et d’argent dans ce domaine ».

« À Londres, par exemple, nous animons un débat continu avec des dirigeants de quelque 30 entreprises de notre réseau mondial de clients afin d’explorer la question de savoir pourquoi la résilience est un élément vital et une responsabilité des dirigeants, et pour échanger en toute confidentialité sur les difficultés et les solutions. »

« Nous travaillons également sur une base individuelle avec certains PDG et certaines équipes de haute direction qui reconnaissent que la résilience de leurs employés est un élément essentiel du bien-être financier durable des organisations qu’ils dirigent ».

« Ils prennent conscience que la résilience commence par les dirigeants eux-mêmes et qu’elle repose sur leur propre comportement et sur la culture qu’ils créent. »

RÉFÉRENCES

  • Rapport Deloitte – données compilées pour appuyer l’étude indépendante du gouvernement britannique sur la santé mentale et les employeurs : https://bit.ly/2yMfnD7 (en anglais)
  • Clinique de rendement sur la résilience de KPMG Australie : https://bit.ly/2k9twnj (en anglais)
  • Inside Out : inside-out.org (en anglais)
  • La société Potential Project est un chef de file mondial des programmes d’efficacité organisationnelle personnalisés fondés sur la pleine conscience. Sa mission est d’accroître le rendement, la résilience et la créativité des individus et des entreprises. Elle a offert une formation sur la pleine conscience à plus de 100 000 personnes dans plus de 500 entreprises à l’échelle de l’Amérique du Nord, de l’Asie, de l’Europe et de l’Australie. www.potentialproject.com