Points de vue de dirigeants:  Janet De Silva

09 juil. 2015

Points de vue de dirigeants: Janet De Silva

Présidente de la Chambre de commerce de la région de Toronto

Janet De Silva est présidente et chef de la direction de la Chambre de commerce de la région de Toronto, la chambre de commerce du plus grand centre urbain du Canada qui représente les intérêts commerciaux de plus de 12 000 membres et 200 000 professionnels de la région de Toronto. Avant de travailler à la Chambre, Mme De Silva était doyenne de l’École de commerce Ivey (Université Western) en Asie, où elle dirigeait les activités en Chine continentale et le campus de Hong Kong, et était responsable des programmes, du développement global et de l’expansion de l’école en Asie.

Avant cela, elle était chef de la direction de la Financière Sun Life à Hong Kong et de sa coentreprise en Chine continentale. On lui a également confié des mandats à la présidence de la Chambre de commerce du Canada à Hong Kong et du Conseil d’affaires Canada-Chine, à Pékin. En 2007, elle a été nommée l’une des 100 femmes les plus influentes au Canada.

Originaire de Kitchener-Waterloo, Mme De Silva détient une maîtrise en administration des affaires de l’École de commerce Ivey de l’Université Western. Elle a siégé pendant dix ans au conseil consultatif de l’Asie de l’École avant d’en devenir la doyenne. Elle siège actuellement à titre d’administratrice indépendante aux conseils d’administration d’Intact Corporation financière (TSX:IFC) et de Blue Umbrella Limited.


L’un de vos premiers postes à la Sun Life au Canada était celui de vice-présidente de la division des assurances individuelles. À l’époque, vous avez été la première femme en Amérique du Nord à diriger un service commercial au sein d’une compagnie d’assurance. Comment avez-vous trouvé cette expérience?

« Une femme? Une femme à la tête d’un service? » Telle a été la réaction de l’épouse de l’un de nos dirigeants au Royaume-Uni. Non seulement j’étais la première femme à occuper un tel poste, mais j’étais aussi considérablement plus jeune que les directeurs régionaux et les gérants de succursale que je supervisais.

Vous êtes par la suite devenue chef de la direction de la filiale canadienne de la Financière Sun Life à Hong Kong, puis de sa coentreprise en Chine continentale. Quelles leçons de leadership avez-vous tirées de ces fonctions?

Mes rôles à l’étranger m’ont transformée. Ils m’ont permis de réaliser que je ne sais pas tout. En tant que « gentille et tolérante » Canadienne, j’ai compris que lorsque quelque chose n’a pas de sens à mes yeux, il suffit de poser une ou deux questions pour en comprendre le « pourquoi ». Ainsi, on réalise qu’il existe parfois de bonnes raisons derrière les façons de faire, et qu’il y a parfois place à l’amélioration.

Avec tout le potentiel de croissance que représente l’Asie, j’étais tout à coup confrontée à la concurrence des plus grandes entreprises de partout dans le monde. Mon mandat à Hong Kong était de transformer une entreprise sous-performante en y implantant de nouveaux produits et réseaux de distribution. Là-bas, j’ai découvert l’importance de tisser des relations dans la culture asiatique. Au Canada, la culture des affaires est centrée sur la gestion efficace du temps; on ne veut pas gaspiller de temps avec des discussions futiles. En Asie, toutefois, on accorde beaucoup d’importance à bien connaître ses partenaires d’affaires personnellement.

Alors que mon expérience précédente dans des marchés bien établis, comme le Canada et Hong Kong, consistait à améliorer le rendement financier grâce au redimensionnement, à l’efficacité opérationnelle et au contrôle des coûts, en Chine, tout était une question de croissance. J’étais là-bas après l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, ce qui avait permis aux compagnies d’assurance étrangères de tirer parti de nombreuses occasions d’expansion. J’ai dû apprendre très vite comment attirer, développer et garder le talent dans un environnement où toutes les compagnies d’assurance florissaient. Dans un tel contexte, le taux de rotation du personnel de 30 % aurait été fatal pour l’entreprise si nous n’avions pas réglé le problème. Nous avons mis en œuvre un programme de « Passeport Carrière », qui présentait les occasions de croissance, de carrière et d’apprentissage que nous offrions. En trois ans à peine, nous avons atteint un taux de rotation du personnel de 9 %, le plus bas de l’industrie. De plus, 75 % de nos embauches provenaient de recommandations de notre personnel.

Lorsque vous étiez doyenne de l’École de commerce Ivey en Asie, l’école a connu une croissance colossale en Chine continentale. Cela a-t-il compliqué votre rôle?

Nous devions faire face à la concurrence des meilleures marques universitaires au monde – Harvard, Chicago Booth, INSEAD, Kellogg et IMD. Le Canada est doté d’un système d’éducation incroyable. Nous sommes le pays du G8 qui investit le plus grand pourcentage de son PIB dans l’éducation, mais nous n’en faisons pas vraiment la promotion, donc nous n’avons pas établi d’identité de marque en Asie. Ivey est une école qui fait appel à la méthode de cas. Sa bibliothèque d’études de cas est la deuxième en importance après celle de Harvard, mais, en fait, son catalogue d’études de cas portant sur l’Asie est le plus grand au monde. Tout comme mon expérience à la Sun Life, la plus grande partie de mon travail à Ivey en Chine consistait à créer une identité de marque pour l’école et pour l’éducation canadienne. Au final, la réputation d’Ivey à titre de l’une des principales écoles spécialisées en méthode de cas s’est forgée grâce aux programmes pratiques et expérientiels que l’école offrait. La volonté de notre faculté d’offrir des programmes en mandarin, grâce à l’interprétation simultanée et à la traduction des études de cas, a aussi été très profitable pour nous.

Vous occupez dorénavant un poste stimulant à la Chambre commerce de la région de Toronto. Comment embauchez-vous au sein de l’organisation? Que recherchez-vous?

Je suis à la recherche d’expériences diversifiées, de compétences dans le monde des affaires et de véritables convictions selon lesquelles nous pouvons faire une différence. Deux de nos plus récentes embauches, trouvées grâce au soutien formidable de Sal Badali chez Odgers Berndtson, nous ont apporté des compétences complémentaires exceptionnelles. Anciennement chef de la direction de l’Institut pour la citoyenneté canadienne, Gillian Smith est notre nouvelle vice-présidente des services aux membres. Dynamique, elle possède des habiletés de leader hors pair et une connaissance approfondie de notre belle communauté de nouveaux arrivants. Doug Goold, notre nouveau vice-président des politiques, affaires publiques et communications, a, quant à lui, une expérience des plus diversifiées. Il connaît très bien la diaspora indienne grâce à la Fondation Asie Pacifique, et il a travaillé à titre de président de l’Institut canadien des affaires internationales et de rédacteur en chef de Report on Business (ROB) et de ROB Magazine.

Quels conseils personnels et professionnels donnez-vous aux femmes qui veulent devenir chef de la direction et membre de conseils d’administration?

Voilà une question qui m’est posée souvent. Je devrais aussi mentionner qu’en Chine, les gens étaient très étonnés du fait qu’une entreprise du Fortune 500 mandate une femme non chinoise pour diriger une coentreprise. Le président chinois de notre coentreprise m’a dit que cela bouleversait leur vision de l’Occident et de ce qu’ils perçoivent comme le plafond de verre infligé aux femmes du monde des affaires occidental. Je n’ai jamais senti que mon sexe était un avantage ou un désavantage au cours de ma carrière. Puisque c’est une question qu’on m’a souvent posée au fil des ans, voici mes cinq conseils pour les femmes qui aspirent à devenir chef de la direction et membre d’un conseil d’administration :

  1. Acquérir une solide expérience en « profits et pertes ».
  2. Aller travailler à l’étranger. Cela vous donnera de nouvelles perspectives et de bonnes idées à appliquer dans votre marché local, ou dans n’importe quel marché.
  3. Saisir les occasions pour bâtir une expérience, par exemple, au sein d’un conseil d’administration d’une société filiale ou d’une organisation à but non lucratif.
  4. Partager sa vie avec la bonne personne (et pas nécessairement riche). Choisir le « bon » partenaire a été la clé de mon succès, et de celui de beaucoup de dirigeantes que je connais. Mon époux a toujours été là pour me soutenir et pour s’occuper de la vie à la maison lorsque je devais voyager, être sur la route pendant de longues périodes, voire même déménager pour de nouvelles fonctions des mois avant le reste de la famille.
  5. Suivre une formation de cadre. Par exemple, j’ai complété une maîtrise en administration des affaires pour gestionnaires, ce qui m’a permis de perfectionner mes compétences, d’approfondir mon expérience et de rencontrer d’autres gestionnaires parmi une foule de secteurs de l’industrie.

Quels sont les leaders qui vous ont le plus influencé pendant votre carrière?

Je n’oserais pas faire de liste, par crainte d’oublier quelqu’un. Mes parents ont influencé mon système de valeurs et mon sens de responsabilité personnelle plus que n’importe qui d’autre. Bien honnêtement, je crois que tout le monde que je rencontre m’influence – la plupart positivement, et une minorité de gens qui me montrent ce que je ne veux pas devenir en matière de comportement et de relations. Mais, en fin de compte – c’est cliché, je sais –, j’ai appris que le monde est vraiment tout petit. On ne sait jamais, quelqu’un avec qui on ne semble pas avoir d’atomes crochus au départ peut, un jour, devenir une influence capitale ou se retrouver au cœur de notre réseau. Donc, je crois que j’ai trouvé une façon de travailler avec plusieurs styles distincts. Et j’ai appris à tirer des leçons de chaque interaction.

Sur quoi les gens se trompent-ils généralement en ce qui concerne Hong Kong?

Les Canadiens qui ne sont jamais allés en Asie ne comprennent pas toujours les situations que posent les marchés émergents et ont tendance à juger les choses selon nos façons de faire et de penser au Canada. En ce qui concerne les marchés émergents, nous sommes un pays riche et profitons d’un certain niveau de vie, d’une évolution politique, de services de santé et d’autres programmes sociaux que beaucoup de pays asiatiques n’ont pas. Les gens dans les marchés émergents veulent ce que nous avons : la possibilité de sortir de la pauvreté, de devenir autosuffisant et de maîtriser leur destin. Pour eux, cela peut signifier de faire les choses différemment qu’au Canada. Le fait que ce soit différent ne veut pas nécessairement dire que c’est mauvais. Dans la plupart des cas, c’est le reflet d’un stage de développement différent, d’une étape que le Canada a franchie il y a des générations. Le magazine The Economist rapporte que depuis les vingt dernières années, un milliard de personnes dans les marchés émergents sont sorties de la pauvreté grâce aux bienfaits de la mondialisation et du libre-échange. La Chine représente 75 % de cette statistique. En fin de compte, ces classes moyennes émergentes influencent le développement de leur société, et au fur et à mesure qu’elles grandissent, elles atteindront de plus en plus des conditions de vie dont nous, Canadiens, profitons.

Lors de notre dernière discussion, vous avez mentionné qu’en vivant à Hong Kong, vous aviez développé un intérêt particulier pour le rugby. Dites-en plus!

Le rugby à Hong Kong, c’est comme le hockey au Canada! Là-bas, on joue au rugby depuis plus de 150 ans, en raison de la présence britannique dans la région. Hong Kong accueille la plus importante ligue mondiale de mini rugby, qui compte près de 5 000 enfants de quatre à douze ans. Notre fils, Jake, a eu la piqûre lorsqu’il était au secondaire. Yves, mon mari, et lui ont passé des semaines à regarder des vidéos YouTube pour apprendre les rudiments du jeu avant qu’on l’inscrive au programme. Il est maintenant un mordu de ce sport et a même été sélectionné pour le programme de développement national de Hong Kong. Puisque notre famille retourne au Canada, notre fils ira à la Shawinigan Lake School, l’école de rugby par excellence au Canada!